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Ode à l’amour

Pour la Saint-Valentin cette année, j’ai décidé d’écrire des lettres d’amour. Elles seront peut-être lues, ou pas. Je ne sais pas encore si je les conserve, les brûle, les éparpille dans la ville ou les expédie par la poste. Elles se destinent à mes amies et à ma famille. À mon passé et à mon futur. À la lune, aux fleurs, montagnes. À des inconnu.es et à des morts. À celle en moi qui pense manquer d’amour.

Cher

Ma bien-aimée

Mon amour

Ma douce moitié

         Jusqu’à très récemment, la Saint-Valentin représentait pour moi ce que le vendredi 13 est probablement pour d’autres. Une journée que j’anticipais avec horreur. Les chocolats sur les étalages semblaient me guetter et se moquer de ma solitude. Dans mes courriels, je voyais apparaître des mots devant être immédiatement écartés de mon champ de conscience.

Singles Appreciation Day. Galentines. Still need a Valentine’s Day gift?

It’s not Valentine’s day without chocolate.

         En écrivant mes lettres, j’ai pris conscience des différentes formes d’amour qui étaient présentes dans ma vie. Les émotions sont, pour la plupart du temps, intangibles, mais lorsqu’elles se lient à des fêtes dominées par le capitalisme, elles se réduisent à l’acte d’acheter. L’amour s’illustre donc à travers une sorte de performance. Ma solitude ressentie ne s’expliquait pas par un manque d’amour, mais plutôt par une hiérarchisation et une capitalisation de celui-ci.  

         Pour confronter ma peur de cette fête, j’ai passé la journée seule. Je prends rarement le temps d’honorer la relation que j’entretiens avec moi-même. De prendre soin d’elle, en lui accordant la même attention que toutes les autres. Et en réalité, bien que je fusse physiquement seule, je ressentais, à travers mes lettres, l’amour qui m’accompagne en tout temps.

         La Saint-Valentin est maintenant passée et les chocolats sont en rabais. Je croque dans un cœur et je me demande où se cache l’amour le reste de l’année.  

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Espoir

            Il y a des peurs qui nous paralysent, et d’autres qui agissent comme forces motrices. Je cherche souvent à me sentir grande. À désespérément remplir le vide qui s’agrandit sous mes pieds, m’aspire et ne me relâche jamais. L’écriture me permet de déborder des limites qui me sont imposées par mon corps. Ce corps que je trouve si petit, si restreint.

            Il y a quelques mois, je suis allée à deux concerts et à une représentation de ballet (Casse-Noisette). Je me laissais emporter par les chansons jouées et les danses exécutées, en oubliant momentanément qui j’étais. Le temps s’arrêtait, le passé et le futur s’embrouillaient. Pendant ces quelques instants, j’avais l’impression d’assister à une grandeur qui surpassait mon humanité. Sur la scène, je ne voyais plus les créateurs, mais plutôt, la Création.

            Par son caractère éternel, la création donne naissance à quelque chose qui transcende l’humain, qui existe indépendamment de ses créateurs. L’art me remplit d’un espoir qui est difficile à décrire. En sa présence, je me sens pleine. Comme s’il détenait tout le pouvoir de me sauver du vide. À travers la création, la vie prend son sens.

Octobre

En écrivant dans mon journal, j’ai remarqué que le mois d’octobre m’inspirait souvent de la tristesse. Les origines de ce sentiment me semblaient floues. Comme si la tristesse émanait mystérieusement de l’air frais que j’inhalais, infiltrant toutes les extrémités de mon corps.

            Le mois d’octobre marque officiellement la fin de l’été. Les collants s’enfilent. Les couches de manteaux s’épaississent. Les journées raccourcissent. Derrière la beauté des couleurs vives se cache une vérité que j’accueille encore avec résistance. Celle de la perte, de la transition, du changement. Lorsque les arbres dénudés s’imposent au paysage, je suis, encore une fois, confrontée au rôle de l’impermanence dans ma vie.

            Ma tristesse se rattache à des évènements réels qui miroitent ce qui veut s’exprimer par la nature. Les feuilles s’abandonnent, se laissent emporter par la mort pour pouvoir renaître à nouveau. J’apprends, moi aussi, à ne plus donner vie à ce qui doit périr. Octobre me semble être la nostalgie incarnée.

Microscope

Lorsque j’étais enfant, je souhaitais recevoir un microscope pour ma fête. Ce que je considère maintenant comme étant une demande inhabituelle pour une jeune de cet âge était source d’une grande fierté à l’époque. J’étais ravie de ce cadeau qui me permettrait finalement d’acquérir une sorte de pouvoir magique : celle de découvrir ce qui se cache sous la peau, la surface, les façades. Je ne me contentais de ce qui m’était montré. Le monde de l’invisible me fascinait. Pour cette raison peut-être, on croyait que la médecine serait ma voie, mais c’est en psychologie que je me suis retrouvée.

            Avant de m’aventurer dans le domaine de l’esprit, j’ignorais la complexité des émotions humaines. Je naviguais intuitivement les relations, sans prendre le temps de considérer les intentions et les motivations qui pourraient sous-tendre certains comportements. En excluant les affects et les pensées, l’être humain peut facilement être réduit à l’observable, à ses actions. Il est souvent difficile de reconnaître que ce qui se produit quotidiennement en nous est également vécu par l’autre. La prise de conscience de cette complicité nous permet d’entrevoir la beauté au sein d’une humanité parfois à déplorer.

            En contexte thérapeutique, il faut se dévoiler, se montrer, se dévêtir de la peau qui a été tissée au fil des années. Ceci fait contraste avec les attentes inexprimées de la société, où nos larmes, nos manies, nos explosions se doivent d’être enfouies sous un sourire terni. J’ai longtemps eu l’impression de devoir masquer ma tristesse, ma colère, ma jalousie par peur de bouleverser des gens qui prétendaient m’aimer, des inconnus dont le regard me hantait, des personnes qui n’hésiteraient pas à m’abandonner. C’est pourtant à travers le partage de notre monde interne que nous pourrons réellement être vus par l’autre. En nommant l’invisible, nous nous conférons le droit d’être perçu.

Bonheur

Un sourire partagé avec un inconnu

Le chant des oiseaux

Les étincelles sur le lac

Un regard complice

La fraîcheur de l’automne

Le café chaud du matin  

Une marche solitaire  

La lune

Une odeur jadis connue (déterrement des souvenirs)

Un croissant aux amandes

Le silence (pur)

La floraison des magnolias

Les larmes qui parcourent le relief du visage (moment de vulnérabilité)

Le premier contact du corps avec l’eau (de piscine, de lac, d’océan…peu importe. La clé est de s’y jeter librement, sans aucune forme d’anticipation.)

Un ciel coloré

La curiosité d’un enfant

….

            Bref, cette énumération pourrait s’étirer à l’infini. Il y a plus d’un an, j’avais listé dans mon journal tout ce qui me procurait un sentiment de bonheur, de plénitude. Les items identifiés me permettaient de redécouvrir la beauté à travers la simplicité. C’était à un moment où l’insatisfaction régnait sur ma vie. Je remarquais que les éléments devant m’apporter du plaisir m’éloignaient de plus en plus de ce sentiment recherché. La commercialisation du bonheur engendrait un état de manque continu qui devenait impossible à assouvir. Le moment présent se sacrifiait pour un futur qui ne se manifesterait jamais. Pour être heureuse, pour contempler un coucher de soleil, pour admirer la lune, pour pleurer devant mes amies, pour aimer, je ne dois me conformer à un style de vie particulier, mais seulement être guidée par une présence qui est engagée.

Solitude

            Depuis ces quelques dernières semaines, je me sens profondément seule. Bien que ce sentiment ne me soit pas étranger, sa présence est souvent difficile à tolérer. Je me suis alors mise à réfléchir à la solitude, à sa place dans ma vie et dans celle des autres, à ses répercussions sociétales.

            Au fil des années, ma relation avec la solitude s’est complexifiée. Et ce n’est qu’en vieillissant que je puisse graduellement me découvrir à travers elle. Contrairement à mon adolescence, la solitude n’est plus ressentie lorsque je suis physiquement seule. En fait, je prends même plaisir à passer du temps de qualité avec moi-même. Le sentiment auquel je fais référence est celui qui se dévoile dans les moments de silence camouflés par le bruit, dans les regards non réciproques, dans les paroles dénuées d’émotions. C’est me sentir seule, même en présence d’autres.

            Pour pallier ce sentiment, je me livre à tout ce qui peut temporairement assouvir mon besoin de connexion humaine. Je me plonge dans les distractions, dans la production, dans la consommation, dans la recherche de « l’amour ». Et pourtant, je remarque que les stratégies véhiculées par la société ne font qu’accentuer ma solitude ressentie.          

            Nous évoluons dans une époque qui valorise de plus en plus la vulnérabilité et le partage de nos pensées et de nos émotions. Pourtant, je ne peux m’empêcher de penser que ce partage (à grande échelle) ne fait que nourrir l’illusion d’une intimité non existante. Virtuellement, nous sommes constamment connectés à l’autre, mais cette vulnérabilité se transpose-t-elle dans la vie réelle, dans nos relations personnelles ? Nous connaissons-nous réellement ? Par conséquent, cette illusion semble graduellement baisser notre tolérance à la solitude. Et le cercle vicieux se poursuit : nous produisons et nous consommons (médias, biens matériels…) pour maintenir un sentiment d’appartenance illusoire.

            Au niveau sociétal, la solitude humaine est exploitée, alors qu’elle est simultanément écartée de nos champs de conscience. Je ne condamne donc pas la solitude, mais plutôt la relation que l’on détient avec elle. Car comment peut-on entretenir une relation saine avec ce qui est collectivement nié ?

*Évidemment, il est également important de reconnaître les bienfaits du partage numérique, permettant à des personnes provenant de populations marginalisées de se retrouver et de partager leurs expériences communes. Ma pensée ne représente qu’un seul point de vue parmi des milliers d’autres. 🙂

Mots flottants

Mon corps a été retrouvé, enseveli sous des mots flottants et inexprimés. Je suis à la recherche de ce monde secret, où se cachent les paroles abandonnées. Cet univers mystérieux abrite les idées, les pensées et les émotions qui nous quittent avant de pouvoir les partager. Bien qu’elles soient invisibles à l’œil nu, elles s’infiltrent dans le réel et transforment nos vécus. Renfermées dans le silence, elles continuent de vivre, de grandir, de se propager. En retenant mes mots, je crois, à tort, que mes idées et mes sentiments ont été exilés. Mais je me heurte constamment à ces mots flottants, qui pourtant se dissipent au son de ma voix.

Le doute

Bien que je sois constamment confrontée aux effets de l’impermanence, je continue d’oublier qu’elle se manifeste régulièrement dans ma vie, dans mes relations, au sein de ma personne. Parfois, elle s’opère si subtilement que ce n’est qu’après plusieurs mois de silence que ses effets s’imposent à ma conscience. Je remarque soudainement que je suis une personne différente, que mes relations se sont modifiées, que tout a changé.

            J’ai commencé à écrire à l’âge de 19 ans, lorsque mes pensées semblaient déborder de ma tête, de ce lieu clos qui devient si rapidement encombré. J’écrivais pour faire sens du monde et de mon existence. À ce moment, je n’avais pas l’intention de partager mes écrits avec d’autres. L’écriture représentait pour moi un lieu de refuge et d’isolement.

            Avec le temps, ma relation avec l’écriture s’est lentement transformée. Cette passion d’autrefois est graduellement devenue une source d’angoisse. En invitant d’autres dans mes pensées, je leur dévoilais l’emplacement de ma cachette. Je n’étais plus seule.  

            Présentement, je me relis avec tous les yeux qui seront ou qui ont déjà été posés sur mes textes. Le doute s’accapare de mon corps et s’infiltre dans mes pensées. Il me paralyse.

            À partir du moment où l’artiste partage ses œuvres, la création peut-elle continuer d’être pour soi ou est-elle maintenant pour les autres ? À quel moment perd-elle son authenticité et sa vérité?

            Dans cette époque marquée par le regard, il est malheureusement devenu facile de s’aveugler. Nous nous laissons ainsi être guidés par les yeux de l’Autre. J’avais oublié. Oublié comment écrire pour moi seule, tout comme j’avais oublié comment exister en l’absence de l’Autre.

 

 

Intemporalité

Ayant chacune un cornet de crème glacée à la main, Shoushan et Rose se promenaient paisiblement dans les rues cachées du Mile End. Malgré les bruits ambiants, le silence les enveloppait. Pour la première fois depuis longtemps, elles avaient épuisé tous leurs sujets de discussion. En s’acclimatant à cette nouvelle étape franchie dans leur amitié, elles dirigèrent leur attention vers l’environnement externe. Les deux filles marchaient côte à côte, mais la nature se dévoilait à elles de manière individuelle. Shoushan tentait d’identifier les diverses odeurs qui émergeaient à chaque coin de rue. Il lui était agréable d’associer les parfums familiers à ses propres souvenirs. Rose, quant à elle, était captivée par le chant des oiseaux qui s’entrelaçait délicatement au bruissement des feuilles. Ce jour-là, le soleil de l’après-midi étendait ses rayons sur l’ensemble de Montréal, regroupant les deux jeunes gens dans la collectivité de la ville. 

            Soudain, Rose s’immobilisa devant un magnolia. Shoushan reconnut l’expression passagère de la mélancolie sur le visage de son amie. 

            – Qu’est-ce qu’il y a ?  

            – C’est étrange…il y a seulement deux jours, je marchais devant cet arbre et j’ai été          émerveillée par la beauté de ses fleurs. Aujourd’hui, elles semblent avoir été drainées de     leur vitalité.  

Shoushan observa longuement le magnolia; son regard se posa sur les pétales embrunis au pied de l’arbre. 

            – Oui, c’est étrange, dit-elle finalement. Hier, j’ai trouvé mon premier cheveu blanc.  

            – Les fleurs se fanent si rapidement, ajouta Rose. Elles n’embellissent la ville que pour un            très court moment.

Shoushan se pencha et ramassa délicatement un pétale terni. Espérait-elle peut-être que son toucher eût pu défaire les effets du temps.  

            – Trouves-tu que j’ai des lignes sur mon visage? 

Rose se tourna vers elle et la dévisagea. Le silence qui s’ensuivit renfermait l’expression d’une attente. Tout en continuant à contempler le jeune visage de son amie, Rose affirma qu’elle aimerait pouvoir identifier l’instant où les fleurs perdent leur éclat de beauté.  

            – J’ai peur de faner, soupira Shoushan. 

            – Les fleurs vieillissent inévitablement.  

            – Je vais bientôt ternir.  

            – Une part de leur valeur réside dans leur mortalité. 

            Alors que la vie autour d’elles se poursuivait, les dernières paroles de Rose restèrent suspendues dans l’air. Les deux amies détournèrent leur regard de l’arbre; de ce miroir qui leur reflétait une vérité incontournable de l’expérience humaine. Ayant chacune empoignée un pétale, Shoushan et Rose reprirent graduellement leur marche, laissant derrière elles le magnolia dénudé.  

 

« La vulnérabilité des choses précieuses est belle parce que la vulnérabilité est une marque d’existence. » 

Simone Weil

La pesanteur et la grâce